25 avril 2007

Lucien Millard interview

lucien Millard
Lucien millard a gentiment accepté de se prêter aux jeux des questions pour roots and culture, afin de parler de sa musique, des Antilles, de ses projets…
Saluons sa musique et son 2°album "hier et aujourd’hui" ainsi que sa disponibilité et son implication. Je vous invite à découvrir son site : Lucienmillard.com où vous trouverez tous ce que vous souhaitez savoir comme sa bio, ses news, ses dates de concerts ...
"femme du soleil":

Tout d’abord Lucien Millard, es ce que tu peux te présenter ?
Je suis originaire des Antilles, né à Fort de France et j'ai grandi à La Trinité. Je suis auteur, compositeur, interprète et arrangeur.
je suis musicien depuis toujours et pour toujours. La musique c'est ma colonne vertébrale, l'air que je respire, ma raison de vivre. Elle est le bateau qui m'a emporté dès mon plus jeune âge. Grâce à elle j'ai découvert de nouveaux rivages et fait des rencontres extraordiniares. La passion pour la musique est un cadeau inestimable que m'a fait la vie.

Tu es en train de préparer un nouvel album, peux tu nous en parler ?
Préparer est le mot qui me convient car je suis comme l'artisan je prends mon temps pour faire les choses, je soigne chaque étape. On me dit souvent que je suis perfectionniste, je le suis par respect pour le public et pour moi-même.
J'ai mis deux ans à terminer mon dernier album et encore parce que mon entourage m'a lancé un ultimatum.
je dois sentir l'harmonie des rythmes et des sons, il faut que ça coule agréablement.
J'aime faire écouter mes maquettes, recueillir les réactions. Ainsi j'ai ajouté un nouveau titre sur mon site "sé sa yo lé" et je serai ravi d'avoir les réactions des internautes. Il figurera sur le prochain album mais aura certainement subi quelques modifications.
Je ne connais jamais à l'avance le style de mes prochains morceaux. J'ai de la chance, je fais tout moi-même ce qui me permets de ne pas avoir la pression.

Y a t’il des concerts prévus pour cet été ou la priorité c’est l’enregistrement ?
Auparavant je ne faisais que de la scène et j'ai créé de nombreux groupes. J'ai eu envie de faire une pause. J'ai réalisé un premier 2 titres.
Cela a aiguisé ma curiosité et je me suis intéressé aux techniques d'enregistrement et de mixage. Maintenant j'alterne scène et studio (installé chez moi) selon les propositions et mes envies de composer. Le champ musical ouvert est immense quant au travail sur les sons.
Pour la scène j'ai trouvé un excellent partenaire martiniquais et ça roule.

Tu viens des Antilles, de la Martinique, mais aussi de Trinité ou tu as vécu dès ton plus jeune age, quelle influence cela a t’il eut sur ta musique ?
Lorque tu quittes ton pays natal, tu en emportes toujours un morceau avec toi. Je peux dire que la musique antillaise est le terreau, la source à laquelle je puise.
Dans un premier temps il te manque et ensuite tu le rends présent et proche par la musique. C'est comme si tu n'étais jamais parti.

Percussionniste mais aussi fabriquant d’instrument, comment en est tu venus a fabriquer tes propres instruments, et quels instruments fait tu ?
A l'origine, l'homme utilisait des éléments naturels comme instruments : coquillages, bois, graines, peaux...., mains, pieds, ....
Enfant, je fabriquais des instruments en cachette car ma famille ne voulait pas que je devienne musicien. A l'époque, le métier d'instit par exemple était mieux accepté!!!
J'ai gardé ce goût pour la fabrication de certains instruments (cha cha, syak (2 baleines de parapluie dans un manche en bois et une bombe d'insecticide martelée avec un gros clou). Mais tu peux aussi utiliser un couvercle en fer, un tambour de machine à laver, etc...tout dépend du son que tu recherches.
je suppose que c'est comme ça que sont nés les bâtons de pluie, les tambours, les cha cha....
Lucien MIllard


"mazouk":

Peut tu nous parler de la particularité des percussions de la Martinique et de trinité, en quoi sont elles différentes de celles de cuba ou de la jamaique par exemple ?
Je ne suis pas vraiment un spécialiste mais je crois savoir que les congas cubaines s'appellent aussi tambours congos et que le joueur est un "congero". Ses origines semblent être les tambours congolais N'Goma (amenés par les esclaves) et ont remplacé des instruments plus rudimentaires tels les "cajones" que l'on retrouve aussi en Espagne. Ce tambour a évolué, en un fût long et renflé. On évoque aussi l'arbre-tambour lorsqu'on évoque l'histoire des congas latines. Les spécialistes évoquent des différences dans la frappe des mains, dans les sonorités (le gordo grave, le quinto aigü, le secundo moyen), dans les rythmes et les danses qu'ils accompagnent (tango, rumba, salsa...)
Les sources des congas et du ka sont africaines. chaque tambour a ensuite évolué en fonction des contextes et des situations des populations locales.
Le Ka évoque aussi la mythologie égyptienne (le double, le monde des esprits).Il est très fortement lié à l'histoire des esclaves et était considéré comme une musique de "vié neg". c'est une expression que j'ai lue et qui marquait un peu de mépris. Heureusement les choses évoluent et le ka retrouve sa noblesse.
Le gwo ka a permis aux esclaves de parler, de s'exprimer, de résister, il leur a redonné de la dignité et de la liberté.

Qu’est ce que cela signifie pour toi de jouer du tambour ?
Et qu’est ce que le ka pour toi ?
C'est la voix de mes ancêtres qui résonne en moi et pour les autres. Cette voix dit "plus jamais ça". Il résonne des chants et des rythmes libérateurs.
C'est plus qu'un instrument , il a participé, avec la langue créole, à la naissance de l'identité antillaise.

En général dans tous rythmes il y a des claves, quelles sont les claves que tu utilisent pour accompagné le tambour (clave en bambou ?)
mon camarade musicien, Sylver, joue du tibwa sur un gros bambou, de la cloche, des percus, chant, fait du vocal. Il est le spécialiste de pleins de petites percussions.

En parlant de percussion, peut tu nous parler de la formation Gwo ka sound group ?
Avec Sylver cabrimol, nous revenons à une musique plus traditionnelle, plus épurée (percussions, tibwa, cha cha), chant
Sylver est également martiniquais et nous jouons sur le même registre nous n'avons pas besoin de nous parler longuement pour nous comprendre.
Pour les grandes scènes nous faisons appel à un musicien et une musicienne réunionnais qui ajoutent les rythmes du Cap Vert.

Quelles sont les origines africaines de ces rythmes, le vodou ? Le Yoruba ?
Imagine une multitude de petites rivières qui, en se rejoignant, forment un grand fleuve vigoureux. Voila comment j'imagine la naissance des tambours et des rythmes antillais. Ils ont été la voix des esclaves.
Mélange un peu de mythologie égyptienne, des cultures venant d'Afrique, une langue nigero-congolaise, des coutumes locales existantes déjà, tu comprends que rien n'est jamais pareil ni tout à fait différent. Ce serait compter sans l'intelligence, la créativité, l'ouverture des peuples. Tout cela fait que pour moi la question des origines n'est pas centrale. J'ai reçu un héritage musical quelques fois il émet des incantations, quelque fois il crie de rage, quelques fois il invite à la danse et souvent c'est tout cela à la fois.

Tu a fais des cours de percussions en France, devenir enseignant est un passage particulier pour un musicien, comment se passe tes cours, tu as une méthode particulière ?
J'ai un but faire comprendre aux éléves que ce n'est pas l'instrument qui fait le musicien
qu'il est inutile de se ruiner pour devenir un bon percussionniste.
Ils doivent apprivoiser leur instrument, apprendre à le connaitre, instaurer une sorte de lien avec lui comme s'il était le prolongement de son propre corps, comme s'il était l'écho de son propre rythme. N'importe qui ne peut pas jouer de n'importe quoi de but en blanc. Il y a donc d'abord un rite de reconnaissance, de ressenti des vibrations de la peau.
Après lorsque ce travail est fait, on peut passer au jeu avec lui.
J'ai imaginé une méthode "le bonhomme musicien" qui développe la créativité, l'imagination, le sens du groupe chez les futurs percussionnistes.

J'ai lu dans ta bio que tu as été coupeur de canne, es ce que quand on coupe la canne on est transporté dans le passé ? (celui des esclaves qui faisaient ce travail sous la contrainte)
Je vais t étonner, je n'ai pas ressenti cela sur l'instant. Par contre quand je joue avec mes percus ces images reviennent et prennent du sens.

Le passé de l’esclavage est fort et toujours présent dans le cœur des martiniquais non ? Mais N’est ce pas encore une source de division pour les antillais ? Certain voulant oublier et d’autres au contraire voulant encore faire vivre le feu sacré des ancients…
Quand un homme perd la mémoire il doit tout réapprendre même les gestes et les connaissances basiques.
Si nous oublions le passé de l'esclavage, avec les souffrances, les humiliations mais aussi le courage, la révolte, la lutte qui l'accompagnent, nous nous privons d'un héritage douloureux certes mais combien précieux.
ce passé c'est celui de l'humanité toute entière car la liberté des peuples se construit par des batailles féroces, des victoires éclatantes. La liberté ça se donne quelques fois mais ça se prend aussi le plus souvent.

Tu es aussi un pécheur, qu’est ce que l’on pêche à la Martinique (et trinité) ? Il doit y avoir des poissons qu’il n’y a pas en métropole.
j'ai été un mauvais pêcheur mais cette expérience m'a appris certaines choses : le respect de la nature (une mer déchainée apprend l'humilité) et la solidarité. Chacun a un travail à faire et la vie des uns dépend du sens des responsabilités des autres. Quant aux poissons j'avoue qu'avec moi ils ont coulé des jours tranquiles !!!

Et puis finalement un départ des Antilles pour la métropole où tu enrichis ton répertoire d’influences comme la techno, musicalement es ce que ce fut un tournant pour toi ?
En métropole, j'avais 19 ans, j'ai découvert le reggae, le rythm' and blues, je me suis lancé comme un fou sur ces rythmes et j'ai crée un foule de groupes pour les jouer. Je me souviens de cette époque où les groupes poussaient comme des champignons !
Beaucoup plus tard, un animateur de radio m'a demandé d'animer des soirées techno et house. J'ai sauté sur l'occasion et je n'ai pas été déçu, bonjour l'ambiance !

Tu vis en France aujourd’hui ou es tu retourné aux Antilles ?
Je vis en France, à côté de Perpignan, je suis revenu pendant 2 ans en Martinique de 1995 à 1997 où je me suis inscrit au CREM (centre robertin d'enseignement musical) et dans une école de musique à La Trinité où j'ai abordé le piano.

L'improvisation :

Pour moi, c'est la base de toute création musicale (j'enfonce une porte ouverte)
J'improvise une ligne de basse ou un rythme percussion et je laisse là quelque temps. Puis me vient une mélodie des fois ça va ensemble, des fois non. Ainsi il m'est arrivé de créer un rythme pour un morceau et finalement il rentre dans un autre parce qu'il vibre mieux.
C'est la musique qui a le dernier mot.

Tu as sortis un 2°cd l’année dernière, « hier et aujourd’hui », qui est une autoproduction, comment c’est passer l’enregistrement ?
Le CD "Hier et Aujourd'hui" est celui de la cinquantaine et résume mon cheminement personnel et artistique. Il évoque l' essentiel de mes valeurs, mes racines, l'amitié, l'amour, la tolérance.
J'ai la chance d'avoir tout le matériel d'enregistrement et de mixage et j'ai pu travailler à mon rythme sans pression.
J'ai failli devenir fou avec la technique mais je pense avoir réussi un équilibre entre les moyens techniques et le live.

Es ce qu’il y a des artistes des Antilles dont tu apprécies la musique et dont tu aimerais nous parler ?
J'ai encore quelques vieux 45 tours de Guy Conquette, Ralph Tamar, Henri Debs, David Martial. Je dois à beaucoup de musiciens d'être devenu musicien moi-même. Je ressens une grande émotion lorsque je les entends.

Quels sont tes musiciens qui ont été une source d’inspiration pour toi ?
James Brown, Bob Marley, Santana, Touré Kounda, Tito Puente, et d'autres sans oublier les jazz men de l'époque des clubs

On sait que ragga, et zouk prennent beaucoup de place dans le paysage musical martiniquais,
Qu’en est ‘il de la scène musicale antillaise aujourd’hui ?

Tout circule facilement à l'heure actuelle, la musique n'y échappe pas et ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Ce que je redoute le plus, c'est l'envahissement de la musique par la technique. Elle la standardise et la "refroidit".

Tes paroles sont souvent en créoles, peut tu nous dire quelques mots en créole ?
mwen ka vreyé bonjou ba zot, tjenbé raid pa moli !

Le créole est une langue très belle pour la musique (pas seulement) es ce plus difficile d’écrire et de chanter en français ?
Je parle spontanément créole lorsque je suis dans une relation détendue et chaleureuse avec une ou plusieurs personnes. C'est une langue d'amour et de paix.
Je parle le français dans mes relations courantes, de tous les jours.

S’il y a un passage d’un texte en créole que tu souhaites nous expliquer ou traduire, un refrain, un bout de texte ?
Frè ya, mété ko doubout, krazé chenn la, pété pak pou bay douvan, fok ou soti adan vyé rèv tala, ......
c'est un extrait du titre "wonm la" qui s'adresse à un de mes amis resté en Martinique. Nous avions révê de courir le monde ensemble.
Malheureusement , ce rêve ne s'est jamais réalisé. Cette chanson lui rend hommage
"wonm la" :

Voilà, merci infiniment Lucien millard, je te laisse naturellement le mot de la fin :
on ne quitte jamais ce que l'on aime, on l'emporte au fond de soi.


lucien Millard Lucien Millard, interview by yogi.

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